Vita-Mors

"En photographe inlassable, Eric Marais arpente notre quotidien cosmopolite, qu’il consigne de son regard curieux, inventif, pénétrant. Il traque toute étrangeté propice à la méditation et à la rêverie. Sa faconde a la texture lente et lâche du sténopé dont le texte incertain, dramatique et puissant alimente mainte fable et de folles rumeurs.

Adepte de la sobriété élégante et émouvante d’une technique rudimentaire et toujours très efficace dans sa puissance d’expression dramatique, il consigne l’envers et l’avers du monde, qu’il nous restitue dans une strate d’étrangeté inattendue et inquiétante parfois. Ses images nous impressionnent et nous émeuvent et nos regards s’égaillent bientôt dans la topographie proposée à la poursuite de quelques elfes ou de nymphes incertaines devinées dans le décor, très soucieux de ne pas réveiller les mânes courroucés de quelques trépassés errant à jamais beuglants parmi les tombes.

La création est souvent affaire de dispositif privilégié ou de protocole. Dans la grammaire formelle de son art, l’artiste choisit alors un élément ou un outil qui lui correspond singulièrement et il en sonde systématiquement toutes les potentialités. Au cinéma, par exemple, Théo Angélopoulos avait choisi le « plan-séquence » et l’avait porté à une forme de perfection, notamment dans « L’Eternité et un jour ». Eric Marais envisage l’acte photographique, sous le régime assez exclusif du sténopé. Il y a là une intuition et un choix.

L’acte photographique s’apparente alors chez lui à une forme de méditation paradoxale car sans sujet. Dans ce choix du regard désintéressé, dans cette fiction de l’Observateur neutre ou anonyme c’est-à-dire universel, ce qui se joue et ce qui se transmet c’est l’identité pérenne des lieux et des sites : leur intimité et leur mémoire, quand, indifférents aux passions transitoires des hommes, à leur tour, ils nous envisagent et nous opposent leur permanence compacte, inlassable et têtue et nous donnent à entendre, ineffable et sublime, le chant apaisé, tutélaire et immémorial de la terre.

C’est la terre celte qu’Eric Marais nous présente aujourd’hui en de menues « Apocalypses » et en deux bouquets impressionnants soustraits à un cimetière anglais. Beaux aliments d’un voyage onirique. "


Jean-Yves Surville-Barland